samedi 5 mars 2011

Amours cubaines (4/4) - Un roi à la Havane




Pedro Juan Gutiérrez vient d’avoir soixante et un ans et vit toujours à Cuba qu’il n’a jamais quittée malgré ses nombreux voyages et séjours réguliers en Europe. Après le succès phénoménal de la Trilogie, Le roi de la Havane est publié en 1999 chez son même éditeur espagnol. Ce roman se déroule, de même que dans le livre précédant, dans le centre de la Havane. Un adolescent, Rey, se retrouve orphelin à la suite d’un drame familial d’une rare violence. Pouilleux, errant, il grandit en prison et dans la rue. Son pénis orné d’une perle est son seul trésor. Si la pauvreté et la lutte pour la survie sont les thèmes principaux du roman, les excès sexuels en constituent le langage narratif. Par cette technique, le lecteur se sent envoûté, happé par la surenchère des situations extrêmes. Les délires de la chair, les extases provoquées par le plaisir des sens permettent aux personnages de supporter les pires déchéances jusqu’au tableau final qui atteint une forme d’apothéose. De ce point de vue, ce livre est un chef d’œuvre.

Animal tropical est publié une année plus tard. Nous retrouvons Pedro Juan sur sa terrasse face à la mer. Sa situation matérielle quoique modeste, s’est nettement améliorée puisqu’elle lui permet de se consacrer à l'écriture et à la peinture. Son humeur devient plus douce, son humour, toujours cinglant, s’avère moins désespéré. Dans la première partie du livre, il entretient une liaison avec Gloria, sa voisine cavaleuse. Au fil des pages, il trace le portrait de la femme de ses rêves, chatte, lionne, louve, belle, ensorceleuse. Leur relation est torride. Métisse provocante, elle plie sous les coups ; la douleur l’excite à la folie. Dans une deuxième partie qui se déroule en Suède, Pedro Juan se la coule douce avec la blonde Agneta qui l’a invité dans le cadre de l’université où elle travaille, pour un séjour de trois mois. Le contraste ressenti et décrit par le narrateur est passionnant. Un brin caricatural, le mode de vie nordique semble fade, triste, monotone par rapport à la vie trépidante sous les tropiques. Agneta est une femme discrète et passive, ce qui n’est pas pour déplaire à notre macho dominateur qui en profite pour la soumettre à ses caprices. La suédoise ruisselle et jouit sous le fouet. Le cœur de Pedro Juan balance. La fin assez brutale, nous laisse penser que le narrateur, de retour à Cuba, change de vie. Loin du centre de la Havane, la femme adorée à ses côtés, il se sent libéré.

Ces trois livres traduits en français, font partie du cycle du centre de la Havane comprenant cinq opus, qui s’achève en 2003. Seuls Le roi de la Havane et Animal tropical sont publiés à Cuba.

En 2007 Le nid du serpent est traduit chez Albin Michel une année après sa parution en Espagne. Ce livre vient d’être réédité en France. Même s’il est présenté comme un roman, on y lit le parcours du jeune Pedro Juan dans les années soixante-dix, son initiation aux pratiques sexuelles et la genèse de son métier d'écrivain. Le premier chapitre annonce la couleur : excès, révoltes, décors glauques, personnages hors normes et délires sexuels comme forme narrative pour tenir le lecteur par les couilles. Cette forme de littérature sadienne ne peut laisser indifférent. On adore ou on déteste. L’auteur a publié de nombreux autres livres de fiction et des recueils de poèmes. Il était temps pour moi de le découvrir…

Photo Hermán Puig

5 commentaires:

  1. Merci mille fois, ma chère Mona, de nous avoir fait découvrir Pedro Juan Gutiérrez. Alléché par tes pages consacrées à Cuba et à cet auteur - dont j’ignorais jusqu’à l’existence - je me suis précipité pour acheter les quatre titres traduits en français dont tu parles. Je les ai dévorés avec délice.

    Oui, nous avons bien là un auteur de premier plan, qui nous fait entrer, à travers ses mots crus, dans la réalité du petit peuple de La Havane et, au-delà dans le concret de la société cubaine administrée depuis plus de 50 ans par le régime castriste (Fidel Castro a pris le pouvoir en 1959). Si tu le permets, je voudrais insister sur trois points, en complément de ce que tu nous dis si bien de l’auteur et de l’œuvre.

    L’hypersexualité du héros

    Elle est au cœur de chacun des livres. Pedro Juan Gutiérrez est d’abord amoureux de sa queue! Il la décrit volontiers, l’exhibe à ses innombrables maîtresses qui craquent pour elle et sont entraînées dans des tourbillons érotiques sans fin, ponctués d’orgasmes bruyants. Car on fait l’amour tout le temps chez Gutiérrez, et sans modération! Peut-être pour oublier un quotidien fait de misère et de crasse, où l’on survit tant bien que mal de petits boulots rarement légaux. Pedro Juan éprouve une vraie passion pour les odeurs, fortes si possible, de ses partenaires et voue un culte à leurs aisselles, jamais assez touffues, trempées et odorantes. Il demande à Gloria, sa voisine, de les garder intactes et donne pour instruction à Agneta, la lointaine Suédoise, d’en faire autant, avec moins de succès. Il déplore la mode hygiéniste venue d’Amérique du Nord dans les années 80, qui a conduit à l’éradication des poils axillaires, même chez les « Porcasses » précise-t-il. En effet le puritanisme américain - et les touristes américains, qui commencent à cette époque à (re)venir à Cuba - ne supportent pas d’apercevoir ces touffes, qui rappellent un peu trop celles du pubis ! Le SM n’est pas absent chez Gutiérrez : les cordes lient les mains des maîtresses, le fouet leur arrache des cris, exacerbe leur désir, déclenche leur orgasme.

    (à suivre)

    RépondreSupprimer
  2. (suite commentaire)

    La ville de La Havane

    C’est l’autre héroïne des livres de Pedro Juan. L’auteur situe ses récits dans la vieille ville, dans un immeuble de la fin des années 20, de style « bostonien » précise-t-il, jadis imposant par sa hauteur, ses marbres, ses décorations. La révolution castriste a exproprié les propriétaires immobiliers, sans allouer en contrepartie les sommes nécessaires à leur entretien. Résultat ? Une dégradation rapide et sans retour d’une bonne partie du centre-ville : dans ces immeubles, les ascenseurs ne marchent plus, le courant électrique fait défaut la plupart du temps, comme l’eau que l’on doit alors aller chercher dans la rue, les rats pullulent, les ampoules sont volées, l’ensemble est crasseux, dégradé. Toute une population de miséreux est venue s’installer dans ces immeubles, les étages ont été cloisonnés à la hâte, les terrasses squattées. Plus personne ne contrôle ces bâtisses, la police n’y faisant que des apparitions furtives, lorsqu’un crime est commis par exemple. Le lecteur curieux utilisera google earth pour retrouver les lieux que décrit Juan-Pedro : le Malecon, boulevard du bord de mer où il nous entraîne souvent, lieu de tous les trafics et où ses héroïnes « cavalent » le touriste fortuné ; le quadrillage des rues et avenues, typique des villes aussi bien hispaniques que nord-américaines ; les plages où l’on se baigne mais aussi où l’on pêche pour se procurer des revenus complémentaires.

    La société cubaine

    Pedro Juan Gutiérrez nous fait découvrir en quelque sorte par en bas la société cubaine actuelle, qui subit toujours, il faut le dire, les conséquences de l’embargo commercial imposé par les Etats-Unis. Les années 90 ont été marquées par une sévère crise, au cours de laquelle beaucoup de Cubains sont partis, par tous les moyens possible, vers Miami, malgré l’opposition du régime, qui ne manqua pas de stigmatiser ces « déserteurs » sensibles aux sirènes du capitalisme yankee. Ceux qui sont restés, la grande majorité, en sont réduits aux expédients pour survivre. Le régime continue à célébrer les victoires du socialisme mais envoie les jeunes appelés dans les champs pour participer à la « zafra », la coupe à la main de la canne à sucre! Il faut lire les passages où l’auteur décrit ce travail forcé. Un des moyens de survivre consiste aussi à ramener de la campagne des denrées alimentaires, par le bus ou en empruntant d’archaïques tortillards ferroviaires. Gutiérrez nous entraîne dans cette expédition hors de La Havane, qui est l’occasion de montrer aussi la survivance, surtout à la campagne mais pas uniquement, des croyances et pratiques à la frontière entre religion et magie. Voir le rôle des « santeras », les personnes initiées à ces pratiques antérieures au catholicisme, que Gutiérrez nous montre, son héros (s’agit-il alors de lui-même ?) conservant chez lui une sorte d’autel où il range ses amulettes et célèbre ses morts

    RépondreSupprimer
  3. Cher P.

    Quel bonheur de pouvoir faire partager mes découvertes... je suis heureuse vraiment de tes commentaires, ravie du plaisir que tu as éprouvé à la lecture de cet auteur que j'apprécie. ça faisait longtemps que je n'avais eu un tel coup de foudre littéraire...

    Mona

    RépondreSupprimer
  4. Voilà un de ces moments délicieux, et au demeurant commun, où mon ignorance me réjouit: un auteur que je veux lire absolument.

    RépondreSupprimer
  5. Oui, oui, oui, Gutiérrez est un grand auteur, l'un des plus importants écrivains cubains du moment. Je ne comprends pas qu'on le connaisse à peine en France. A quand la traduction de ses autres livres ? Je viens de terminer son dernier ouvrage en espagnol datant de 2007 "Corazon mestizo" el delirio de Cuba. (je ne maîtrise pas suffisamment cette langue mais si je m'améliore, c'est en partie grâce à lui!). Il parcourt des contrées cubaines et décrit des villes, des campagnes, des paysages.Il raconte des épisodes clés de l'histoire cubaine. A travers son regard, on arrive à découvrir des aspects de ce pays inconnus au touriste lambda. Le sexe est très peu présent,
    ce n'est pas l'objet du livre. En même temps, il ne peut s'empêcher d'évoquer quelques aventures. Et il nous donne des repères, allusions à des lieux ou des personnages de ses oeuvres. A suivre...

    RépondreSupprimer