samedi 26 février 2011

Amours cubaines (3/4) - Pedro Juan Gutiérrez


De retour de Cuba, je découvre un livre publié en 1998 en Espagne et traduit en de nombreuses langues : Trilogie sale de la Havane (Editions 10/18 Albin Michel). Le narrateur, Pedro Juan, alter ego de l'auteur, est un journaliste écrasé par une situation matérielle au bord du gouffre. Son couple s'est déchiré, il a perdu son emploi. Il habite un petit appartement situé sur la terrasse d'un immeuble collectif, décrépi, du centre de la Havane, face à la mer, au moment où une grave crise économique touche le pays dans les années quatre-vingt-dix. Il raconte sa survie au quotidien et celle des habitants de son quartier : les magouilles, les violences, mais aussi les amours, les rêves et les tentatives de s'en sortir ou de s'enfuir de l'enfer que représente la réalité misérable et sans espoir de ses compatriotes à cette période.

Selon notre schéma de pensées, on pourrait imaginer que le désespoir matériel conduise à la misère sexuelle. Il n'en est rien ; ça baise à tout va. Comme la plupart des mâles cubains, Pedro Juan apprécie le rhum, les cigares et les femmes. Même s'il a une nette préférence pour les "mulâtresses", minces avec plein de poils aux aisselles et au pubis, s'il déteste les "mignonnes parfumées et pomponnées" et s'il fuit les intellos comme la peste, il repousse rarement une gonzesse. La palette de ses "tendances" est large. Voyeur, exhibitionniste, sadique, scato, vouant un culte à sa bite, il se vante de passer des heures, voire des jours à baiser. Le machisme primaire du narrateur (et celui de la majorité des personnages masculins) s'adapte parfaitement aux besoins des femmes séductrices, avides de sexe, insatiables. A l'égal des hommes, elles sont embarquées dans la lutte pour la survie. Leur corps est leur seul bien. Elles en usent pour gagner leur croûte comme pour jouir. Dans cette jungle où l'on crève la dale, il n'y a aucune place au romantisme et à la sentimentalité. Pourtant amoureux de Luisa, Pedro Juan la pousse à "cavaler le touriste" et, sans surprise, elle finit par se tirer avec l'un de ses clients. Pendant quelques temps, il fait le gigolo auprès des "vieilles" et finit au trou où il devient tatoueur. Sa déchéance sociale le mène à travailler comme éboueur. Quelquefois on a l'impression que cette situation extrême est vécue avec délectation par le narrateur fétichiste de la saleté, de la transpiration, de la merde. Les toilettes servent à une cinquantaine de personnes et débordent. L'eau est coupé. Le savon manque. La crasse s'encroûte dans les habitations et sur les corps. Les ordures sont aussi humaines... les personnes rendent l'âme dans leur sang et leur bave. Lui, comme les autres, ne pense qu'à sauver sa peau.


Cuba m'avait ensorcelée. Pedro Juan me donnait des clés pour comprendre comment on peut aimer une ville, La Havane, qui tombe en ruine et s’asphyxie, comment on peut la trouver belle et l’adorer. Son écriture, ses mots, me rendaient encore plus accro. Mais qui est derrière cette plume? Un descendant de Sade? Un cousin tropical de Genêt? Dieu ou diable, saint ou escroc?


Photos : Katia Dé Lys, actrice porno d'origine cubaine
et Pedro Juan Gutiérrez posant sur sa terrasse au moment de la sortie de son livre, pour le cliché qui l'a fait connaître en Allemagne.

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