samedi 9 octobre 2010

Brûlures d'amour



Par les fenêtres du salon où je suis assise, j’entrevois les arbres touffus du jardin du Palais Royal. La nuit est tombée et mon amie, la petite dame au chignon, se décide à annoncer le programme. Je ne m’attendais guère à l’intermède érotique dont elle nous parle. Avec précipitation, nous avions organisé cette petite soirée pour son anniversaire en prévoyant un dessert alléchant, toute idée de scénario ayant été écartée. J’écoute à peine, mon esprit est ailleurs… soudain, les interrogations fusent, mes quatre autres amies s’excitent. Je comprends enfin, je devine. Elle a convoqué celui qu’elle appelle Vincent dans ses écrits. Mes regards complices croisent ceux de ma jumelle assise à côté de moi sur le canapé. La nostalgie nous submerge. Comment est-il possible qu’après tant d’années, je me retrouve dans un appartement bourgeois, similaire à celui de la rue de Marignan, pour vivre un nouvel épisode de la soumission de cet homme ? Pendant qu’elle raconte, qu’elle explique, les images surgissent de ma mémoire. Bien sûr je me souviens… mes cheveux balayant son corps, les caresses, les coups, les battements de mon cœur au moment où se saisissant du sceau, elle a tracé sa marque. Tout cela a été écrit par le menu détail.

Je relis ces pages du Petit carnet perdu « L’amour existe là aussi, dans ces relations apparemment dures, cruelles ! Il y est même quelquefois, au sens propre, si enflammé qu’il peut désirer se voir matérialisé par une brûlure, sous la forme, par exemple, des initiales de la femme aimée incrustées dans la chair en lettres de feu.».

Oui, maîtresses et esclaves nous sommes exaltés par cette idée mystifiée de l’amour, parenthèse fantasmée…


Après l’apéritif au champagne, nous voilà réunies comme à l’accoutumée, autour de la table décorée en bleu. Nous nous régalons, les conversations à bâtons rompus explosent. Finissant le dernier plat, je sens l’impatience de mon amie assise à ma droite. Il est l’heure de préparer l’intermède érotique. Le dessert est prévu pour la troisième partie de la soirée. Nous revenons au salon. Chacune d’entre nous, sauf la maîtresse de cérémonie, se couvre le visage de voile bordeau et choisit sa place. A la sonnerie de la porte, le silence s’impose. L’homme est introduit. A genoux devant nous, revêtu d’un costume-cravate, il entame la lecture d’une première lettre. Nous sommes concentrées, attentives.

Quel est cet amour évoqué par mon amie dans son livre ? Quel est cet amour exprimé dans la soumission de Vincent à sa maîtresse ? Je relis ses pages «Le cul, étranger aux préoccupations métaphysiques, est simple et rieur. Le sacré à la recherche de la transcendance qui se dérobe, n’est ni simple ni rieur : d’un côté la kermesse, de l’autre la messe.»

Après la lecture d’une deuxième lettre, l’homme agenouillé reçoit l’ordre de retirer sa chemise. L’assistante se place à côté de lui une bougie à la main. La maîtresse de cérémonie tend le sceau vers la flamme, se tourne vers son sujet pour imprégner ses initiales. Puis, selon le rituel convenu, chacune de nous, l’une après l’autre, effectue le même geste à un endroit différent du corps offert. J’observe les sursauts, les contorsions de cet homme qui, dans la douceur de la nuit se livre à sa douleur. Sa maîtresse lui annonce des châtiments à venir comme un cadeau. Et, pendant que j’admire sa ferveur et que l’émotion m’envahit, mes pensées s’égarent vers l’amant que j’attends, celui auquel j’ai choisi de me soumettre.

Ce théâtre est beau. Mon amie possède l’art de nous entraîner dans un monde parallèle où tout semble possible. Pourtant, l’amour qu’elle évoque me paraît irréel, désincarné. Il y a une dimension occultée : la passion charnelle, la douleur du déchirement qui se mêle à l’extase, ce vertige qui vous surprend et vous inonde au moment de la fusion des corps et lors de la jouissance du «cul».

Pendant que la maîtresse de cérémonie et son assistante se sont retirées avec l’esclave qui s’apprête à partir, nous préparons le dessert pour son anniversaire. Un petit quart d’heure plus tard, je vais la chercher. Elle pénètre dans le salon. A ce moment-là nous sommes toutes hypnotisées par son regard de petite fille fascinée par le tableau qu’elle découvre. Ce n’est pas la première fois qu’elle voit une femme allongée nue, le corps garni de gourmandises. Et pourtant, elle est émerveillée. Dès qu’elle approche sa bouche des petits gâteaux éparpillés sur la peau de notre blonde endormie, nous nous précipitons pour lécher, croquer, mêler nos langues et nos lèvres à la crème, au chocolat, et pour nous assouvir de baisers et de caresses.

Je finis ma lecture : «Alors j’effleure la brûlure de ma bouche, je lèche les traces de mon baiser ardent . Alors vous embrassez le creux de la main qui vous a marqué ; alors vous me dites votre reconnaissance émerveillée ; vous me dites que c’est le plus beau jour de votre vie, celui de votre renaissance ; vous me dites que vous m’aimez ; vous avez à ce moment la dévotion sensuelle d’un mystique pour son dieu.»

La magie du théâtre est peut-être de nous permettre de vivre l'impossible et de nous consoler par le rêve... A présent je le sais : mon amant ne viendra plus.


(Merci Ysé pour la photo du "dessert") !)

2 commentaires:

  1. J'avais entendu parler de la scène par le dessert en personne :)
    Je me demandais ce que ça pouvait donner visuellement ! Jolie photo souvenir !

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  2. Chère Pheno,

    le dessert de vendredi était aussi créatif et réussi que celui-ci... j'ai beaucoup aimé le masque et les plumes blanches. Je garde un souvenir délicieux de scènes sm excitantes que j'entrevoyais en dansant. La musique m'emportait, je m'abandonnais aux caresses de mon/ma partenaire... quelle belle soirée! Merci encore

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